La folle des cimetières
C'est une vieille dame sans âge , une espèce de folle - on dit ça à cause de ses collants de laine détendus , de cette façon qu'elle a de se resserrer dans son châle . Elle n'a pas de mort ici . Elle vient dans les cimetières seulement parce que c'est le seul endroit possible pour son genre de silence , de regard - pour cette déambulation hagarde entre les divisions - c'est très divisé la mort ici ; les gens qui viennent ont leur chemin familier , arrêt , méditation , souvent prière , détour jusqu'au point d'eau , retour à la tombe , traficotage horticole autour des fleurs en pot , même chemin pour le départ . alors il faut des chats pour faire le lien , pour se couler entre croix , pour se coucher sur la pierre , quand le soleil est bon .
Il faut le jardinier qui fait des tas de feuilles mortes lentement .
Saint-Ouen , Montmartre , Père-Lachaise , Montparnasse .
Il faut le pont à claire-voie au-dessus du cimetière Caulaincourt . Des lycéens de Jules Ferry vont passer par là , parler d'amour ou d'interro de maths en regardant le jardin de la mort en contre-bas .
Il faut des rites un peu légers , des signes qui n'ont rien à voir avec le protocole des enterrements , des poussières de vie.
Il faut la vieille folle aux collants prune qui vient donner du lait aux chats perdus . Elle vient chercher dans les allées cette douceur sévère qui console de l'effervescence hostile de la ville - ici elle peut parler à haute voix , elle peut se taire , ici rien n'est perdu . ( Philippe Delerm )
( Paris d'avant Delanoë , Paris-Plage , et les bobos , Paris du tendre film de Klapish " Chacun cherche son chat " )