Se souvenir des belles choses

14 mars 2008

Les reines de france sont si blanches , en arc de cercle , au Luxembourg . Elles tournent le dos à la rumeur du boul'Mich et regardent les amoureux qui s'embrassent en contrebas , les adorateurs du soleil presque allongés sur les fauteuils vert pâle , entre les gazons symétriques - beaucoup ont quitté leurs chaussures . Aucune trace de réprobation sur le visage des statues , et pas davantage pour la silhouette de la tour Montparnasse .

Les reines de France sont bien , quand vient l'automne . Elles aiment ces rousseurs qui se décantent au-dessus de leur tête , et plus encore ces tons feuilles ambre-terne au pied de leur socle . Des enfants slaloment entre leurs silhouettes faussement rigides , s'enfoncent à plaisir dans les feuilles entassées .

Les reines n'ignorent rien de ces ébats , mais elles regardent loin . Un peu hypocrites , elles se laissent pénétrer par tous les rites du jardin , les jeux et les baisers . Elles tiennent dignement les longs plis de leur robe dans la main , mais se laissent baigner par le soleil qui fléchit dès cinq heures . L'une d'elles a perdu son diadème , n'a gardé sur la tête qu'une couronne d'épines qui sublime son sourire , en fait la Sainte du Luxembourg , heureuse et morfondue .

Comme les reines , il faut se taire au Luxembourg , s'imprégner de la marche lente des vieillards , des émiettements de pain pour les pigeons gloutons effarouchés , des foulées des coureurs légers .

Devenir tout cela pour en sourire à l'infini , dans le papier froissé des marronniers placides .

Philippe Delerm ( vous savez , le papa de Vincent )